Note sur la suppression des partis politiques, Simone WEIL, 1943 – texte intégral, livre audio

Livre audio de la Note sur la suppression générale des partis politiques, de Simone WEIL, rédigée en 1943. À partir d’une discussion de la notion de volonté générale de Jean-Jacques ROUSSEAU, cet opuscule conclut à la nocivité des partis politiques. Ceux-ci, en substituant dans la pensée des citoyens un souci de conformité partisane au souci intellectuel de vérité, en pressant de trancher “pour“ ou “contre“ plutôt que s’appliquer à distinguer de quoi il est question, sapent en son fondement le mécanisme qui permet l’émanation de la volonté générale. Tout part d’une image saisissante que l’autrice emploie pour éclairer le sens de cette célèbre (quoique souvent mal comprise) notion de volonté générale. Dans une ample masse d’eau, dit-elle, il est une multitude de particules qui sans cesse et en tout sens se heurtent, s’entrechoquent. Mais de cette multitude, précisément, vient que, si l’eau n’est pas troublée par une force extérieure, les chocs se neutralisent mutuellement et que, quoique les particules soient agitées, la masse tient l’ensemble dans un état global de repos parfait. L’eau constitue alors un indicateur infaillible de vérité : sa surface “renvoie aux objets leurs images avec une netteté irréprochable, indique parfaitement le plan horizontal, dit sans erreur la densité des objets qu’on y plonge“. Le grand geste philosophique de Rousseau, auquel Weil revient ici, ce ne fut pas du tout de dire que la démocratie était bonne parce qu’elle était la démocratie, ni que la multitude avait raison parce qu’elle était la multitude. Ce fut de pointer que, si se réalisait en elle un état d’équilibre comparable à celui de la masse d’eau, la multitude était, du fait du nombre, capable de distinguer la vérité et la justice mieux que tout autre, et qu’en vertu de cela (et cela seul) elle était le souverain le plus légitime. Rousseau contredit ainsi magistralement la vieille idée qu’une multitude ne saurait former autre chose qu’une populace désordonnée. Le mécanisme en est exposé dans Du contrat social, Livre II, chapitre 3 : si, sur un problème particulier de la vie commune, il est demandé à un grand nombre de citoyens de méditer ce qui leur paraît être la solution la plus conforme à l’utilité publique et à l’intérêt général (et non pas s’il leur est demandé de déléguer cette tâche à des représentants élus), peut-être s’en trouvera-t-il beaucoup qui répondront seulement d’après leur intérêt particulier ; mais les intérêts particuliers sont indéfiniment variables, et leurs réponses tireront ainsi à hue et à dia, se neutralisant les unes les autres. L’intérêt général, lui, est un. Ceux qui tâcheront de raisonner en vue de l’utilité publique, fussent-ils minoritaires, convergeront vers des réponses communes qui finiront par constituer à l’égard de l’ensemble une majorité relative. Ainsi, les foules chantent-elles juste – et d’autant plus juste qu’elles sont nombreuses car, quand même seraient-elles constituées d’individus qui pour la plupart chantent faux, les fausses notes ne sont jamais les mêmes tandis que la note juste, étant toujours la même note, supplante les autres. De même le grand nombre du peuple, par un semblable mécanisme de divergence dans l’erreur et de mutualisation dans la rectitude, est capable mieux que personne de distinguer la vérité et la justice : non pas en dépit, mais en raison de son nombre. La résolution populaire issue d’une délibération où opère un mécanisme de ce genre – non pas celle où n’opère qu’une vulgaire addition d’intérêts particuliers – est ce que Rousseau appelait volonté générale. Mais aussi l’image de la masse d’eau est à double tranchant, et contient dans le même temps la métaphore de la façon dont la volonté générale peut dégénérer en sa caricature : car si la masse d’eau, par l’effet d’une force quelconque, est saisie d’un ou de quelques courants suffisamment forts, la surface se déchaîne et devient impropre à refléter ou jauger quoi que ce soit. Les passions collectives constituent, selon l’autrice, de tels courants au sein d’un peuple. Et les partis politiques sont par excellence des associations de nature à engendrer de telles passions. Où Rousseau, pour empêcher cette dégradation, recommandait de veiller à la pluralité des associations et à l’équilibre de leurs forces, Weil aboutit à la recommandation de supprimer purement et simplement les partis, et d’assimiler à ce qui s’apparenterait à un délit de trafic d’influence, pénalement réprimé, toute prétention d’une association quelle qu’elle soit à établir une mainmise sur les opinions de ses membres. SOMMAIRE 0:00 Titre et musique introductive 2:03 Note sur la suppression générale des partis politiques 54:49 Schubert, Impromptu n°1 ♪♬ Musique : Impromptu en fa mineur, Op. 142 n°1, D935, de Franz SCHUBERT (1828) – interprété par Krystian ZIMERMAN, disponible au lien suivant : ◙ Tableau accompagnant la lecture : Tempête de neige en mer, William TURNER (1842).
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