Thibaut de Champagne _ Seigneurs, sachiez qui or ne s’en ira, par Ren Zosso

legrandchene 2008 Seigneurs, sachiez qui or ne s’en ira. Chant de croisade, interprété par René Zosso accompagné par le Clemencic Consort. Écrit et composé par Thibaut de Champagne (1201-1253). Thibaut IV fut comte de Champagne et roi de Navarre. Poète et chansonnier. Un des grands troubadours français du 13ème siècle, illustre et admiré pour son art de son vivant. En 1239 le pape Grégoire IX lance un appel à une nouvelle croisade en Terre Sainte. C’est justement Thibaut qui a la charge de prendre la tête de l’expédition militaire. Il a probablement composé cette chanson à l’occasion de ses préparatifs, dans le but de gagner à sa cause croisés et gens d’arme. Au Moyen-Âge il n’y a pratiquement pas d’armées permanentes. Cette croisade mal engagée, et contre l’avis de l’empereur Frédéric II - lui-même roi de Jérusalem et fin connaisseur des affaires d’Orient -, se soldera par un échec. Thibaut, vaillant seigneur à la guerre, était sans doute bien meilleur poète que clairvoyant en politique... Pour rester sur le terrain musical et littéraire, et sans grand risque d’erreur, on peut donc dater cette chanson de 1239. René Zosso ne reprend pas le poème de Thibaut en entier. En tout cas, en voici une adaptation en français modernisé : Seigneurs, sachez : qui point de s’en ira En cette terre où Dieu fut mort et vif, Et qui la croix d’outre-mer ne prendra, A dure peine ira en paradis; Qui n’a en soi pitié ni souvenance, Au haut Seigneur doit chercher sa vengeance, Et délivrer sa terre et son pays. Tous les mauvais resteront à l’arrière Qui, n’aimant Dieu, ne l’honorent, ni ne le prient. Et chacun dit : “Ma femme que fera ? La laisserai à nul, fut-il ami“, Serait tomber en bien trop folle errance; Il n’est d’amis hors celui, sans doutance, Qui pour nous fut en la vraie croix mis. Or, s’en iront ces vaillants écuyers Qui aiment Dieu et l’honneur de ce mont, Qui sagement veulent à Dieu aller; Et les morveux, les cendreux resteront. Aveugle soit - de ce, ne doute mie - Qui n’aide Dieu une fois en sa vie, Et pour si peu perd la gloire du monde. Douce dame, reine couronnée, Priez pour nous, Vierge bienheureuse ! Et après nul mal ne nous peut échoir. Une version, parmi d’autres, de la chanson originale en français du 13ème siècle. Textes d’étude - ancien français, édition de Robert-Léon Wagner. (Droz, 2000) Seignor, sachiés : qui or ne s’en ira en cele terre ou Dex fu mors et vis, et qui la crois d’Outremer ne penra, a paines mais ira en Paradis. Qui a en soi pitié ne ramembrance au haut Seignor doit querre sa venjance et delivrer sa terre et son païs. Tuit li mauvés demorront par deça qui n’aiment Dieu, bien, ne honor, ne pris. Et chascuns dit “ Ma feme, que fera ? Je ne lairoie a nul fuer mes amis“. Cil sont cheoit en trop fole atendance, qu’il n’est amis fors de cil, sans doutance, qui por nos fu en la vraie crois mis. Or s’en iront cil vaillant bacheler qui aiment Dieu et l’ennor de cest mont, qui sagement vuelent a Dieu aler, et li morveux, li cendreux, demorront; avugle sont, de ce ne dout je mie, qui j secors ne fait Dieu en sa vie, et por si pou pert la gloire dou mont. Diex se lessa en crois por nos pener et nos dira au jor que tuit vendront : “Vos qui ma crois m’aidastes a porter, vos en irez la ou mi angles sont; la me verrez et ma mere Marie. Et vos, par cui je n’oi onques aie, descendrés tuit en Enfer le parfont.“ Chacuns cuide demorer toz haitiez et que ja mes ne doie mal avoir; ainsi les tient anemis et pechiez que il n’ont sen, hardement ne pooir. Biax sire Diex, ostés leur tel pensee et nos metez en la vostre contree si saintement que vos puissons veoir. Douce dame, roïne coronee, proiez por nos, Virge bien aüree ! Et puis aprés ne nos puet meschoir.
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